Conseil de l’UIT, Doha 2026 : Pour le Sénégal, perdre ce siège, c’est perdre bien plus qu’un vote
La 26e Conférence de Plénipotentiaires de l’Union internationale des télécommunications (UIT) se tiendra à Doha, au Qatar, du 9 au 27 novembre 2026.
Cet événement quadriennal constitue le sommet décisionnel de l’agence spécialisée des Nations Unies chargée des télécommunications et du numérique.
À cette occasion, les 193 États membres seront appelés à élire les membres du Conseil de l’UIT, véritable organe de gouvernance de l’organisation entre deux conférences, et à définir les grandes orientations stratégiques et budgétaires pour les années à venir.
Pour le Sénégal, cette échéance représente bien plus qu’une simple formalité.
Membre de l’UIT depuis 1960, notre pays siège sans interruption au Conseil de l’Union depuis 1972.
Cette continuité est à la fois le fruit d’un engagement technique reconnu et d’une diplomatie soutenue. Mais dans un contexte international en perpétuelle recomposition, aucun acquis ne peut être tenu pour garanti.
En 2022, lors de la Conférence de Plénipotentiaires à Bucarest, en Roumanie, le Sénégal a réussi à se faire réélire pour la période 2023-2026.
Avec 137 voix, notre pays s’est classé à la 7e place sur les 17 candidatures africaines en lice pour 13 sièges disponibles.
Ce résultat, supérieur de 21 voix à celui obtenu en 2018, a été rendu possible grâce à une campagne de haut niveau pilotée par Son Excellence Papa Diop, alors ambassadeur du Sénégal en Pologne et en Roumanie, entre autres, et directeur de campagne.
Il était appuyé par une délégation élargie composée du ministère des Télécommunications, de l’ARTP, de la Présidence, de la Primature, et du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur.
Ce succès électoral est le fruit d’un long travail diplomatique, méthodique et ciblé.
Avant l’élection proprement dite, l’UIT organise plusieurs jours de travaux dans une grande salle où tous les pays membres sont représentés.
C’est dans cet espace stratégique que s’opère une partie décisive de la campagne.
Sur instruction du directeur de campagne, les membres de la délégation sénégalaise se répartissent en petits groupes de deux, trois ou quatre personnes pour faire le tour des différentes délégations.
L’objectif est clair : rencontrer, échanger, argumenter et convaincre chaque pays de soutenir la candidature du Sénégal.
Ce travail de proximité, de diplomatie directe et informelle, s’étend à l’ensemble des régions de l’UIT.
Le Sénégal s’appuie également sur des alliés stratégiques au-delà de la salle de conférence.
De grands lobbyistes internationaux, souvent des Sénégalais installés à l’étranger, bien introduits dans certaines régions ou dans les rouages de l’UIT, jouent un rôle déterminant.
Grâce à leurs réseaux, leur crédibilité personnelle et leur capacité à faire passer les bons messages, ils sont souvent les artisans silencieux d’un soutien décisif.
Il arrive aussi que certaines délégations, déjà contactées par voie diplomatique en amont, rassurent les représentants sénégalais en indiquant que le protocole est déjà signé entre les deux États.
Parfois, les ambassadeurs ou chefs de délégation montrent les instructions écrites de leur gouvernement, indiquant que leur vote est acquis au Sénégal.
Ce type de soutien est le fruit du travail préparatoire mené par le ministère des Affaires étrangères, qui joue un rôle clé dans la sécurisation des voix, bien avant l’ouverture officielle de la Conférence.
En 2018, cette mécanique diplomatique bien huilée s’était déjà illustrée avec brio.
La campagne avait été lancée à Durban, lors du forum ITU Telecom World, par un « Networking Lunch » de haut niveau présidé par l’ancien Secrétaire général de l’UIT, le Chinois Houlin Zhao, grand ami du Sénégal.
Quelques semaines plus tard, lors de la Conférence de Dubaï, la délégation sénégalaise, conduite par le ministre de la Communication, des Télécommunications, des Postes et de l’Économie numérique d’alors, M. Abdoulaye Baldé, avec l’appui du directeur général de l’ARTP, M. Abdou Karim Sall, du président du FDSUT, M. Aly Coto Ndiaye, et de plusieurs techniciens et diplomates, avait pu compter sur l’engagement de Son Excellence Ibrahima Sory Sylla, ambassadeur du Sénégal aux Émirats Arabes Unis, pour renforcer la dynamique sur place.
Le résultat : une réélection réussie pour la période 2019-2022.
Aujourd’hui, le contexte est plus tendu.
La défaite d’Amadou Hott à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) a rappelé à quel point les équilibres diplomatiques peuvent être fragiles, même avec un dossier solide.
D’autres échecs récents, dans le sport comme dans les arènes multilatérales, doivent nous pousser à la vigilance et à l’anticipation.
La Conférence des Plénipotentiaires de Doha en 2026 ne saurait être traitée à la légère. Il faut une stratégie dès maintenant.
Il s’agit de nommer un directeur de campagne chevronné, de bâtir une feuille de route crédible, et d’intensifier notre présence dans les grands forums du numérique :
ITU Telecom World, Smart Africa, les fora de l’Union africaine, les réunions techniques régionales, sans oublier le très influent Mobile World Congress de Barcelone, organisé par la GSMA.
Le Sénégal a des arguments. Il a de l’expertise, une diplomatie bien structurée, une régulation numérique reconnue, et un engagement constant en faveur d’un numérique inclusif.
Mais dans ce domaine, ce ne sont pas les mérites seuls qui comptent, ce sont les voix.
Et les voix se gagnent, une par une, dans les couloirs des conférences, dans les réceptions diplomatiques, dans les capitales alliées, et dans les forums stratégiques.
Doha 2026, c’est demain.
Pour le Sénégal, ce sera un test de constance, de lucidité et de méthode. Il est encore temps de se préparer.
Mais le compte à rebours est bel et bien lancé.
Boubacar Kambel DIENG
Partager ce contenu :
Laisser un commentaire